matin frais
dans mon jardin sauvage
les déambulations du chat
Archives de l’auteur : Claire Mélanie
Interstices
Voici un texte dont la spécificité ne permettra pas qu’il soit proposé dans le cadre d’un autre concours d’écriture. Je le publie donc ici, il s’agissait d’écrire un texte autour de la phrase « faut que t’aimes le monde sur la brosse ».
Y a pas à tortiller, faut que t’aimes le monde sur la brosse. C’est ça ou crève. Le monde sur la brosse, t’as pas encore pigé ? C’est toi sur un poil, c’est nous à poil pris comme des cons dans la frénésie du monde.
Qui frotte qui frotte nous tanne la peau nous tire les oreilles.
La frénésie sauvage et toi t’es là, tu m’dis qu’y a un nœud et tu te roules en boule. Faut pas t’rouler en boule, non, faut pas, faut que tu te redresses, dans le sens du poil, que tu montres ton nez, fais dépasser ta tête, faut accepter le monde-brosse et la brosse-monde comme un mille-feuilles savoureux qui aurait mal tourné.
Quoi ? tu préfères les mille-feuilles bien tournés, tu peux aller te brosser alors, car entre les poils morts, le bois mort, les peluches et les peaux mortes, y a pas grand-chose qui survive – faut te raccrocher, oui, faire une corde, te faire fakir et danser d’un pied léger sur la pointe du poil qui t’a déjà écorché ; ça gratte, c’est pour ça qu’on brosse. Tu dis qu’il y a trop de monde entre les interstices ? Que c’est plein à craquer entre les poils, que ça surchauffe, racornis-toi alors comme une peau sèche, effrite-toi comme un crâne pas propre, tortille-toi comme un cheveu cassé, fais-toi petit petit, laisse respirer les autres – et pense out of the brosse.
La brosse-monde : c’est le piège, regarde bien entre les poils, tu la vois la forêt ? La forêt de brosses comme la tienne comme la nôtre ? Oui ? Mais entre les brosses ? Tu vois quoi ? De l’air, oui mais fais gaffe, c’est de l’air qui veut qu’on lui foute la paix, de l’air va t’brosser, de l’air pour les bestiaux moins bêtes que toi et surtout moins cruels. De l’air. J’te dis pas ça pour que t’ailles mettre tes poils partout. J’te dis ça pour que t’aimes le monde sur la brosse. La brosse-monde c’est le piège, mais c’est ton piège. Alors bichonne, pouponne, soigne, materne, paterne, nourrit, lustre, nettoie, savonne. C’est ton jardin de poils, ton cloaque et ton paradis : adoucit et susurre. Murmure la berceuse du velours trop lustré, la comptine du bureau brosse à reluire, la cantate des mal brossés. Secoue en rythme tes certitudes et tes réflexes, allez, une deux plie les genoux, secoue tes angoisses et tes névroses, frotte, brosse, démêle, lisse et désarticule. Il sera toujours temps de couper.
Jeunesse et Submersion
Vous pouvez retrouver deux de mes textes, Jeunesse et Submersion dans le numéro 3 de la revue Résonances aux éditions Jacques Flament.
Pour commander la revue : sur le site de l’éditeur
Extraits
Un vent prudent s’engouffrait par la fenêtre qu’elle avait laissé ouverte. Assise dans l’escalier, qui, par chance, n’était lui pas trop vermoulu, elle aimait regarder batifoler le voile, soutenu dans cette danse par un long rayon de soleil.
C’était son repère, sa tanière de brigand, son cocon lumineux, son aventure solitaire.
Elle n’était pas la seule à connaître l’existence de ce hameau déserté mais elle était l’une des rares à s’y aventurer. Cette survivance des choses comme le signe ironique d’une disparition la fascinait.
Jeunesse
J’en étais là de mon dialogue invisible avec les arbres – je n’étais pas plus mal. Un jour, j’avais accédé à leur dimension floue et ils m’avaient parlé. Je ne comprenais pas tout, souvent, ils m’énervaient : trop savants, trop anciens, trop sages ; oh mais leur fureur glaçante, leur sauvage fureur glaçante, voilà qui me les rendait sympathiques. Ce qui ne m’empêchait pas de me terrer, petit petit quand je la voyais poindre, comme une lumière d’abord feutrée, au loin – tandis qu’elle s’amplifiait, éblouissait, éclaboussait, jetait, secouait – et tout redevenait ensuite placide, feutré d’attentes, vénéneux dans de la soie.
Submersion
Cinéma en haïku
J’avais envoyé trois haïkus sur le thème du cinéma à la Haïku Canada Review, qui n’en retient toujours qu’un par auteur. Je sais désormais lequel a été publié dans le numéro de février 2021. Je peux donc vous proposer ici les deux autres à la lecture.
fin du Septième sceau
chevalier du septième art
silence absolu
gravir les marches
fauteuil rouge et tapis noir
luxe en carte pass
Coccinelle
Des crocus par centaines par milliers (presque)
Des publications, autre part (suite)
- Dans le hors-série Isthme de la revue Poétisthme avec le poème Lorsque tu me relies
- Hors-série accessible ici
- Dans le recueil La frontière publié par Les Adex avec le poème Dans tes veines en pointillé
- En savoir plus : sur le site Les Adex
Soleil d’hiver
Nuit de la lecture – Relire le monde. Chère Albertine
A l’occasion de la nuit de la lecture 2021, la bibliothèque de Colmar organisait un concours d’écriture. : « Nous sommes en 2050, vous déambulez dans une bibliothèque, vos pensées défilent, vous vous installez et écrivez une lettre à un proche… » Voici ce que j’ai proposé. Bonne lecture.
A Colmar, bibliothèque des Dominicains, le 6 janvier 2050
Chère Albertine,
je t’écris de ces lieux tant de fois menacés et tant de fois sauvegardés, je t’écris comme le matelot d’un bateau dont il voudrait être capitaine. Les années ont passé sur moi et toi aussi, tu as dû vieillir, avouons-nous tout, mais ici, je te retrouverai toujours un peu. Je te retrouverai toujours un peu dans ces rangées que nous avons parcourues ensemble comme des gamines presque sauvages, à la recherche du récit qui nous ferait découvrir des mystères que nous n’aurions même pas osé formuler ; je te retrouverai toujours un peu dans cette odeur de papier, de poussière et de propre que toute bibliothèque sait entretenir avec volupté. Ce toucher du papier qui a fait nos joies, tourner physiquement la page comme on avance d’un pas dans un chemin ; la poussière et son effet archéologique, découverte de trésors restés cachés, ces livres pourtant fabuleux que personne n’a empruntés depuis des années ; le propre de notre société très hygiéniste, la faute à ces maladies qui nous ont poursuivies, années après années, des nouvelles et des anciennes, revenues sous d’autres formes. Oui vraiment, la bibliothèque, c’était notre échappatoire – et je me dis, qu’à l’époque, toutes les forces s’étaient jointes pour qu’elle reste ouverte et pour que des enfants comme nous, des adultes aux souvenirs proches, des affamés de silence et de richesses, oui pour que nous tous puissions continuer de grandir et de nous approfondir, cachés entre deux rayonnages.
Te souviens-tu de ces grands toits en bois et de ces belles poutres traversantes ? Nous allions à la bibliothèque comme dans un château de magie, t’en souviens-tu, nous l’appelions, pour faire vite, le couvent et nous nous inventions des vies de femmes livrées contre leur gré à l’institution religieuse, pour nous séparer de nos amours du moment, que nous rêvions toujours un peu poètes, réservés, et qu’il nous fallait rejoindre, par ruse et courage, hors des murs de cette prison inventée alors que le lieu-même, en vrai, nous libérait.
Te souviens-tu ? Il nous libérait de nos hésitations à vivre, de nos peurs de l’autre, de nos enfances et des attentes que les adultes avaient pour nous. Aujourd’hui je comprends mieux les interdits de nos mères, les consignes sans cesse répétées, cette méfiance qu’elles nous ont inculquées, malgré tout, de la parole insouciante. Notre monde n’était déjà plus le leur, alors même que nous n’avions que dix ans. Nous n’avons connu qu’un monde policé, un monde des masques et des gants, un monde du contrôle des corps, de l’écoute des propos, de la détection des visages, de la surveillance au plus près. Elles, elles avaient connu la liberté ; et je crois bien que c’est pour ça que parmi toutes les barrières prudentes entre lesquelles elles nous élevaient, jamais elles ne firent obstacle à nos escapades à la bibliothèque. Elles ont fait de nous des îlots, des îlots d’espoirs et des îlots de fantaisie, n’attendant qu’un pont, même vague, même mouvant, pour sauter sur l’autre rive et partir à la découverte de nos vies et des autres.
Ici, tout est resté lent ; je suis revenue il y a seulement quelques semaines, pour l’enterrement de mon père. Depuis, je demeure chez ma mère. Le temps a passé mais à la marge, je sais qu’à son époque, 2050 s’imaginait plein de voitures volantes, de médecines high-tech et de ressuscitations. Tu l’auras vu comme moi, nous n’aurons eu que les catastrophes des romans d’anticipation. Dans cette grande jungle urbanistique, les villes moyennes sont devenues des villages – qui aurait cru qu’elles seraient ainsi encore plus désertées au profit des grosses métropoles vampiriques ? J’avais pensé que la vie moins grouillante aurait été, avec toutes ces contagions, ces pollutions, le désir premier de citoyens essorés. Mais moi aussi, je me suis laissé prendre par la fureur enivrante de la grande ville, comme si l’on pouvait devenir quelqu’un dans cette tonitruance permanente. La mort de mon père m’a appelée au silence ; et à retrouver mes pas ici. Ils m’ont inévitablement conduite au couvent – et vers toi.
Que deviens-tu au-delà des ans ? J’espère que, contrairement à moi, la vie ne t’aura pas trop éloignée de nos pensées d’alors, que tu seras restée cette fille combative et aimante, cette fille émerveillée mais implacable, cette fille que j’admirais et que j’ai continué de porter en moi comme un talisman d’ambre.
En sortant de la bibliothèque – mais laisse-moi un peu de temps, j’ai besoin encore de cette suspension de la déambulation – j’irai sonner chez ta mère, on m’a dit qu’elle habitait toujours là ; et je lui confierai cette lettre dans l’espoir du symbole qu’on relie. Réponds-moi si tu le peux, l’adresse sera au dos, ne te force pas, pense à moi au moins un peu.
Je t’embrasse comme le vent doux qui nous soufflait ses comptines, comme une brioche tout juste sortie du four, comme un regard complice qui n’a besoin que d’un léger sourire pour raconter un roman, je t’embrasse ;
ta très chère Artémis
Humeur hivernale
Sur le chemin.
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